Pour Thomas Metzinger également, le coeur du problème repose sur la gestion de l’attention : “L’attention est un produit fini, et il est absolument essentiel pour vivre une bonne vie. Nous avons besoin de l’attention afin d’écouter réellement les autres – ainsi que nous-mêmes. Nous avons besoin d’attention pour profiter vraiment des plaisirs sensoriels, ainsi que pour apprendre efficacement. Nous en avons besoin pour être réellement présents lors de nos rapports sexuels, comme pour simplement contempler la nature. Notre cerveau ne peut produire qu’une quantité limitée de cette précieuse ressource chaque jour. Aujourd’hui, les industries, la publicité et les spectacles attaquent les fondements mêmes de notre capacité d’expérience. Ils essaient de nous dépouiller de la plupart de nos ressources rares, et ils le font de manière toujours plus persistante et intelligente. Nous savons tout cela. Mais voici quelque chose que nous commençons tout juste à comprendre – que l’internet affecte notre sentiment du Moi, et à un niveau fonctionnel plus profond.
La conscience est l’espace de l’agencement de l’attention (…). En tant qu’agent d’attention, vous pouvez initier un changement dans l’attention et, pour ainsi dire, braquer directement votre lampe de poche intérieure vers certains objectifs (…). Dans de nombreuses situations, les gens perdent la propriété de l’agencement de l’attention, et par conséquent leur sentiment de soi est affaibli. Les nourrissons ne peuvent contrôler leur attention visuelle, leur regard semble errer sans but d’un objet à un autre, parce que cette partie de leur être n’est pas encore consolidée. (…) Dans d’autres cas aussi, comme l’ivresse grave ou la démence sénile, vous perdez la capacité à diriger votre attention – et, corrélativement, vous gagnez l’impression que votre “moi” se désagrège. (…)
S’il est vrai que l’expérience de contrôler et de maintenir la concentration de l’attention est l’une des couches plus profondes de l’ipséité phénoménale (c’est-à-dire le pouvoir d’un sujet pensant de se représenter lui-même comme demeurant le même, malgré tous les changements physiques et psychologiques qui peuvent advenir à sa personne au cours de son existence, NDLR), alors ce à quoi nous assistons actuellement n’est pas seulement une attaque organisée sur l’espace de la conscience en soi, mais une forme légère de dépersonnalisation. Ces nouveaux environnements médiatiques créent une nouvelle forme d’éveil qui ressemble à un état faiblement subjectif : un mélange de rêve, de démence, d’ivresse et d’infantilisation. Nous faisons tout cela ensemble, tous les jours. J’appelle cela le rêve public.”